samedi 25 février 2023

Euclid, la passionnante mission spatiale européenne à la recherche de la matière noire et de l’énergie noire - 20 Minutes

On leur a trouvé des noms, on estime qu’elles constituent 95 % de l’univers et pourtant on ne sait quasiment rien d’elles. Elles, ce sont la matière noire et l’énergie noire. Jugées bien trop mystérieuses au goût des scientifiques dont elles alimentent théories et fantasmes, depuis quelques décennies.

« Tout ce que nous savons, c’est que la première a de la gravité et que la seconde provoque l’expansion accélérée de l’univers », rappelle Giuseppe Racca, de l’Agence spatiale européenne (Esa). Leur nature exacte demeure inconnue et, vu leur prépondérance, c’est un véritable « embarras cosmique », estime le responsable de la mission que l’Esa s’apprête à lancer pour en percer les secrets. A Cannes, dans les salles blanches de Thales Alenia Space où il a été assemblé, le satellite Euclid est prêt à décoller. Il devrait s’envoler cet été et rester en orbite au moins six ans pour réaliser une cartographie, en 3D, de quelque deux milliards de galaxies.

Et c’est cette masse d’informations inédites, analysées par des centaines de scientifiques, qui devrait faire avancer nos connaissances en la matière… noire. Comment ? Et quelles sont les possibles révélations ? 20 Minutes est allé interroger quelques-uns de ces spécialistes chez le fabricant, près de la Croisette, où ils étaient réunis cette semaine.

A quoi va servir cette cartographie en 3D de deux milliards de galaxies ?

Avec cette mission à 1,5 milliard d’euros, l’Agence spatiale européenne espère répondre à au moins deux questions : « Quelle est l’origine de l’univers ? » et « pourquoi s’étend-il à un rythme accéléré au lieu de ralentir en raison de l’attraction gravitationnelle de la matière ? ». Et pour ça, « le gros avantage d’Euclid réside justement dans le nombre de galaxies que l’on peut observer », explique Stéphanie Escoffier, directrice de recherche au CNRS. « On va le multiplier par dix et forcément, plus il y en a, plus nos résultats pourront être précis. Cette cartographie en 3D devrait être une véritable révolution », poursuit-elle.

A titre de comparaison, Hubble space télescope a observé le ciel sur 25 degrés carrés (une unité de mesure de l’espace vue de la Terre) en 25 ans alors que le nouveau satellite pourra capturer dix degrés carrés par jour ! « On va pouvoir étudier la distribution de ces galaxies d’une manière très précise, ce qui va nous renseigner sur l’énergie noire, mais aussi analyser leur déformation, qui pourra nous donner des renseignements sur la localisation de la matière noire », détaille la chercheuse.

Le télescope devrait fonctionner au moins six ans
Le télescope devrait fonctionner au moins six ans - Thales Alenia space

Les scientifiques devraient donc pouvoir appréhender cet « invisible » en quantifiant son absence. Vous suivez ? Ils se baseront sur l’effet de « lentille gravitationnelle », c’est-à-dire quand un objet céleste dévie les rayons émis par une source lumineuse, pour « mesurer la quantité de matière entre le satellite et la galaxie observée ».

Comment la mission va-t-elle fonctionner ?

Lancé depuis Cap Canaveral, à bord d’une fusée Falcon 9 de SpaceX, en juillet prochain, Euclid devrait arriver à destination en octobre. Depuis son orbite héliocentrique, c’est-à-dire autour du soleil, à 1,5 million de kilomètres de la Terre, le télescope va photographier sans relâche le fin fond du cosmos jusqu’en 2029, et peut-être au-delà, si tout se passe bien. Equipé d’un impressionnant capteur de plus de 600 millions de pixels, l’engin va fournir des images « dans lesquelles nous allons pouvoir zoomer presque à l’infini », explique Pierre Casenove, en charge du programme pour le Cnes, le Centre national d’études spatiales. Pour cibler telle ou telle galaxie.

Ça, ce sera pour la partie visible. Un second appareil, un « spectro-imageur dans le proche infrarouge et photomètre », permettra ensuite « aux cosmologistes d’estimer la distance qui nous sépare de la galaxie en question », décrit Thales Alenia space. C’est donc grâce à lui que la cartographie obtenue sera modélisée en 3D.


Avec, à la clé, des quantités d’informations à peine imaginables, qui vont être réparties dans plusieurs data centers en Europe. « Il va falloir traiter 26 Pétaoctets par an », soit 26.000 Téraoctets « et, à titre de comparaison, le satellite Hubble, c’est 160 Téraoctets chaque année », souligne Giuseppe Racca, chef de la mission à l’Agence spatiale européenne (ESA). « On a hâte, mais aussi un peu peur. On va devoir faire face à un monstre de données », prévient également l’astrophysicien français David Elbaz, directeur de recherche au Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Ce dernier fait partie d’un consortium de 1.500 scientifiques (dans seize pays) qui vont devoir tout décortiquer.

Que pouvons-nous attendre de ces résultats ?

Euclid scannera le ciel à travers l’espace donc mais aussi le temps. L’engin, baptisé en l’honneur du mathématicien considéré comme le « père de la géométrie », pourra capter de la lumière ayant mis jusqu’à dix milliards d’années pour arriver jusqu’à lui. « On pourra ainsi voir si l’énergie noire est une constante cosmologique, si c’est quelque chose qui va évoluer dans le temps ou si on doit remettre en question la relativité générale d’Einstein », indique encore Stéphanie Escoffier. Rien que ça.

Et ce qu’Euclid pourrait permettre de découvrir passionne déjà David Elbaz. « Cette cartographie pourrait nous permettre de déduire ce qui est à l’origine de nos propres origines. Est-ce que tout est né avec la gravité telle qu’on la connaît, avec la pomme qui tombe de l’arbre ? Ou est-ce que lorsque je mets cette pomme très très très loin de la Terre et que je la laisse tomber, elle ne fait plus pareil, voire elle se barre et elle part même en arrière », expose le spécialiste, avec une petite idée de la réponse. « Certains objets lointains qu’on observe, au lieu de s’affaisser les uns sur les autres, se repoussent. C’est analogue à ce que l’on appelle l’anti-gravité. »

Mais alors qu’est-ce qui crée cette anti-gravité ? C’est toutes les théories envisagées à ce sujet qui vont justement pouvoir être testée avec cette mission de l’Esa. Pour caractériser la nature encore très mystérieuse de l’énergie noire, responsable de l’accélération de l’expansion de l’Univers. « Est-ce une "propriété" de l’espace, selon la réponse donnée par Einstein ? Est-ce le vide quantique, comme d’autres le disent ? Ou alors est-ce une autre possibilité complètement dingue, où cette énergie-là, que l’on appelle l’énergie fantôme, va disloquer les galaxies, puis les étoiles, puis les molécules, puis les atomes, tout ce que vous avez eu avec le Big Bang. Où elle va tout redéfaire jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. Pas même pas un atome d’hydrogène. » Si les premières images d’Euclid sont attendues dès cet automne, les premiers résultats de leurs analyses, eux, ne tomberont pas avant un an et demi.

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